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Rapport Élections Françaises 2022

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Résumé exécutif

Les 10 et 24 avril 2022, les Français se sont présentés devant les urnes pour élire le Président de la République des cinq prochaines années. Les 12 et 19 juin suivants, les citoyens sont retournés dans les bureaux de vote pour élire leurs représentants à l’Assemblée Nationale. Durant les mois précédant ces deux scrutins majeurs, les candidats ont fait campagne dans un contexte chamboulé par des situations domestique et géopolitique inhabituelles, avec, d’une part, la gestion de la crise sanitaire et, d’autre part, la guerre en Ukraine, qui ont toutes deux éloigné les discussions des programmes des candidats. Le nouvel effondrement des partis traditionnels, respectivement le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR), l’entente difficile entre les candidats de gauche puis leur alliance, la montée en puissance de deux candidats d’extrême droite, l’entrée en campagne tardive et fortement critiquée du Président sortant suivie de manifestations d’une très forte aversion à son égard par une partie de la population ont marqué cette élection présidentielle.

Par la suite, les élections législatives de juin ont été présentées comme un « troisième tour », en particulier par la gauche. L’union, après le deuxième tour de l’élection présidentielle, entre le parti écologiste, le PS et La France insoumise (LFI), dont le candidat a récolté près de 22 % des voix au premier tour, sous le nom de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociales (NUPES), a ainsi donné l’espoir à de nombreux citoyens de contrebalancer le pouvoir détenu par le Président réélu Emmanuel Macron. Cela s’est traduit dans les urnes : l’importante poussée de la NUPES (131 sièges), la percée historique du RN (qui passe de 8 à 89 sièges), et les pertes enregistrées par LR (61 sièges) ont pris la majorité (245 sièges) par surprise. L’absence de majorité absolue à l’Assemblée pour le gouvernement français est une exception qui plonge le pays dans une crise institutionnelle et politique, la France étant devenue pour beaucoup ingouvernable du fait de la montée en puissance des partis d’opposition et de leurs candidats positionnés aux extrémités du spectre politique.

Le système d’information mis sous pression

Ces moments démocratiques mouvementés portaient en eux les conditions d’une mobilisation en ligne d’acteurs domestiques et étrangers à des fins d’influence, comme cela avait été le cas durant l’élection présidentielle française de 2017, le référendum du Brexit de 2016, les élections américaines de la même année (et, dans une moindre mesure, celles de 2020), ou encore les élections fédérales allemandes de 2021. Nous avons donc mobilisé un groupe de chercheurs de la société civile pour procéder à une veille en temps réel de la circulation de contenus en ligne. Ce groupe a réuni des expertises diverses permettant de suivre l’émergence et la circulation de désinformations dans les médias et sur les réseaux sociaux, de discours de haine liés aux partis politiques et aux candidats, ou encore de publicités politiques recensées sur Meta et en lien avec l’élection. Il a aussi quantifié les amplifications algorithmiques des candidats sur les grandes plateformes. Inspiré de l’Election Integrity Partnership américain et dans la lignée des recommandations du rapport _Les lumières à l’ère numérique _remis au Président de la République en janvier 2022, ce groupe a cherché à alerter les pouvoirs publics, les médias et les citoyens de campagnes de manipulation d’informations en ligne pouvant remettre en cause la sincérité des scrutins.

De nombreux contenus et comportements inquiétants ont été observés en ligne. Beaucoup ont cherché à remettre en cause la légitimité du résultat de l’élection, par exemple en questionnant la validité des sondages durant la campagne, ou celle du comptage des votes après les deux tours de l’élection présidentielle. Nous avons également observé des stratégies de mobilisation en ligne qui enfreignaient les conditions d’utilisation des plateformes, comme les campagnes d’astroturfing ou des exemples de comportements inauthentiques coordonnés de la part d’acteurs d’extrême droite, ou encore qui jouaient à la frontière du cadre fixé par le code électoral, comme les publicités de différents partis observées en ligne. Ces narratifs et stratégies sont installés dans le paysage politique contemporain. Ils sont en constante évolution, se transformeront avec les régulations futures et nécessiteront toujours une attention particulière durant les moments démocratiques importants.

Ces contenus n’ont pas eu les effets attendus

Pour autant, en 2022 les tentatives de déstabilisations analysées ont eu des effets limités. Ceci représente un constat positif pour le processus démocratique en France, mais invite à beaucoup de prudence pour le futur.

Nous émettons quatre hypothèses principales pouvant expliquer la relative résistance de l’écosystème d’information français durant les élections présidentielle et législatives de 2022. Tout d’abord, la guerre en Ukraine a entraîné une réorganisation des moyens de l’un des principaux acteurs des ingérences étrangères en Occident, la Russie. La suppression des médias russes Sputnik et Russia Today (RT) des grandes plateformes, ainsi que la concentration des efforts russes sur les narratifs autour des raisons de la guerre en Ukraine, ont affaibli leurs capacités d’influence en France et les ont détournés des sujets de la campagne présidentielle française.

Ensuite, la mobilisation des pouvoirs publics autour de la question de la désinformation a pu inciter les réseaux sociaux à plus de vigilance, et décourager des acteurs malveillants à prendre part à des opérations d’influence en ligne. Durant ces élections, la France était présidente du Conseil de l’Union européenne au moment décisif de la finalisation du Digital Services Act (DSA), le texte européen encadrant la responsabilité des plateformes vis-à-vis des contenus illégaux et problématiques. Cela en a fait un terrain sensible pour les grandes plateformes soumises au futur texte. Par ailleurs, le gouvernement a mis en place le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) en amont de l’élection présidentielle. De son côté, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), le régulateur des médias, a sensibilisé les candidats, les partis politiques, les médias et les réseaux sociaux concernant leur responsabilité commune vis-à-vis des désinformations. Cela a démontré la détermination des institutions françaises à s’emparer du sujet.

Les particularités du déroulement et de la régulation des élections françaises rendent aussi plus difficile la circulation à grande échelle de désinformation et renforcent une certaine déontologie politique. Plusieurs éléments ont contribué à rendre plus difficile le succès des narratifs remettant en cause la légitimité de l’élection. C’est notamment le cas du soutien par diverses personnalités politiques aux candidats les mieux placés dans les sondages pour l’obtention des parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection, même s’ils ne sont pas alignés politiquement ; de l’absence de vote à distance ; de la présence de nombreux bureaux de vote sur le territoire français ; ou encore du contrôle des publicités politiques durant la campagne.

Enfin, la relative centralité de l’espace médiatique français, avec des médias traditionnels encore très influents sur l’agenda médiatique, et qui partagent une vision commune de l’importance du respect des institutions, a limité la circulation de désinformation à grande échelle. Ce respect des institutions est aussi à noter du côté de l’ensemble des candidats à la présidentielle, dont aucun n’a remis en cause la validité des résultats de l’élection, même s’ils ont montré leur insatisfaction. Le seul fait notable est le cas du candidat LFI aux législatives Manuel Bompard qui a remis en cause le système de comptages des voix de la NUPES en Outre mer et accusé le Ministère de l’Intérieur de manipulation. Néanmoins, comme nous le détaillerons, cette centralité est l’objet même de contestations des mouvements d’extrême gauche et d’extrême droite et pose donc question quant à sa durabilité.

La remise en cause des institutions : une menace pour l’avenir

Les nombreuses tentatives de contestation de la légitimité du processus démocratique ou des sondages n’ont donc pas eu les effets attendus. Il est néanmoins essentiel de prendre la mesure de la menace qu’elles représentent à l’avenir. Les narratifs des candidats traditionnels et du centre semblent être à bout de souffle (comme en témoigne la difficulté avec laquelle ils parviennent à mobiliser en ligne, contrairement aux convictions des extrêmes qui, elles, gagnent facilement en visibilité). En parallèle, les communautés en opposition aux institutions et à la politique dominante sont installées et structurées. Leur montée en puissance sur les réseaux sociaux est indéniable, et le reflet d’une défiance généralisée vis-à-vis du pouvoir et des narratifs institutionnels.

Notre rapport termine en émettant quelques propositions de recommandations techniques afin d’assurer le bon fonctionnement de l’écosystème informationnel français en ligne. Si celles-ci permettront certainement de limiter la capacité d’acteurs malveillants à déstabiliser les processus institutionnels sur lesquels reposent la démocratie, elles n’empêcheront pas les narratifs anti-système de gagner en importance et ne se substitueront pas aux nécessaires débats politiques et idéologiques qui nous attendent.

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